Crise de foi – suite & fin

(Début du billet ici)

Il avait 35 ans, il allait être papa pour la première fois. Une forte fièvre d’origine inconnue l’a terrassé en quelques jours.

Autrefois, nos maisons se faisaient quasiment face, et nous partagions le privilège envié de tous nos camarades d’habiter tout près du collège. Il est dans la plupart de mes souvenirs de cette première période antillaise. Ensuite j’ai ensuite un peu plus loin et nous avons été inscrits à des lycées différents, et puis j’ai traversé à nouveau l’Atlantique.
Je n’ai jamais été particulièrement liante. J’ai commencé à apprendre à soigner mes amitiés depuis peu, et je suis encore bien mauvaise je crois, aussi n’ai-je gardé que quelques rares amis datant de cette période, ceux-là ont compris qu’il fallait me harceler de mails et d’invitations afin que je réponde. J’ai un peu honte de l’admettre, mais si mes amis étaient des plantes, les seules à survivre seraient celles en plastique qui ne demandent qu’à être époussetées de temps à autre.

Bref, vous l’avez compris, à cette époque, quand je croisais mon ancien camarade, c’était toujours par hasard lors de fêtes communales, quand je retournais là-bas, chez moi, en vacances.
Nous étions toujours contents de ces courtes retrouvailles. Il était comme un demi-frère, un parent proche qu’on ne voit plus mais qu’on a toujours grand bonheur à revoir.
Je me souviens de cette fois sur la plage de Port-Louis. Il m’avait reproché gentiment d’avoir grossi et m’avais supplié de me reprendre. Je n’avais pas fait de commentaires sur sa compagne du moment quand il me l’avait présentée, ni sur la voie professionnelle qu’il avait choisie, mais il avait su percer mon silence en répondant « on fait ce qu’on peut », réponse que j’aurais pu lui faire moi-même quant à mon gros derrière.

Mais voilà. Il est mort. Fini. Plus de lui.
J’ai été assommée par la nouvelle. Comment un garçon si gentil et si jeune pouvait-il mourir ?
Révolte et abasourdissement.

Il emportait dans la tombe une partie de cette vie à moi dont il avait été témoin. Comme si on m’avait subitement annoncé que mes souvenirs avaient dépassé leur date limite de validité et qu’ils avaient été supprimés de ma mémoire. Ma réaction formulée ainsi peut paraître égoïste, je sais, mais c’est vraiment ce que j’ai ressenti sur le coup.

J’avais l’impression que la mort avait encore frappé de manière aléatoire, ou pire, qu’elle se délectait de cette injustice et qu’elle me narguait. Elle me signifiait combien elle était puissante et capable de tout, même de me supprimer moi qui étais en train de donner le bain à mon enfant qui pourrait être orphelin d’une minute à l’autre sur un caprice, comme ça. ORPHELIN. OR-PHE-LIN. Mais je viens à peine de lui donner la vie, merde !
Sinon, il y a aussi l’option de devenir veuve comme la femme de mon ami.
Un champ de possibilités toutes horribles s’est ouvert devant mes yeux. Je m’efforçais jusque là de vivre dans une relative ignorance, mais la réalité me forçait à regarder sous une lumière crue ma fragile condition et l’impermanence de cette vie en général.

J’étais angoissée. J’avais envie de prendre la jeune maman/jeune veuve dans mes bras, de nourrir cette enfant qui ne serait jamais bercée par son père, de leur raconter les bouts de son enfance et son adolescence que j’avais partagés, d’essayer de lester sa présence à force d’anecdotes et de souvenirs heureux, de le forcer à rester parmi nous, de redonner corps à cette existence en la racontant, tout en sachant que ça ne le ferait pas revenir.

Peut-être enverrai-je une lettre un jour à cette jeune femme pour lui parler de son mari quand il était petit.

Depuis, j’ai laissé passer le temps et j’ai accepté la mort de mon ami.
Une question en avait profité pour germer en moi et il fallait que je la pose.

« Le Loup ?
– Oui ?
– Tu ne crois pas en Dieu, ça, je sais.
– Hmm mm.
– Tu ne crois ni en Dieu quel que soit son nom, ni en l’Homme ?
– C’est ça.
– Mais tu ne crois pas en quelque chose ?
– C’est à dire ?
– Je ne sais pas moi, en une force suprême, un truc supérieur, le bien absolu ?
– Non.
– Mais tu ne crois en rien ?
– Ah si, je crois en moi.

Huit ans de vie commune et apprendre ça.
Ce n’est pas qu’il se considère comme une déité. Mais il a foi en lui et en ce qu’il peut réaliser.

Je ne sais pas comment il peut résister au chagrin, à la peine, au malheur, je ne sais pas à quoi il se rattache.
¤ Bon, il dit aussi qu’il croie en moi, en notre fils, en notre amour. ¤

Je trouve ça à la fois effrayant et admirable d’avoir soi pour seul grand repère. C’est à la fois tant et si peu. Une si grande responsabilité que ça me donne le tournis, et une telle confiance en soi pour la prise en main de son propre destin que ça fait envie.

Bref, ça m’a bien fait cogiter.
Il est fort ce type quand même.

A propos Jazz

Jazz, c'est juste moi, ici et là.
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3 commentaires pour Crise de foi – suite & fin

  1. Eric D dit :

    Dieu n’est qu’un conte pour enfants, une solution de facilite pour expliquer un monde complexe. Si ce conte t’aide a aprehender une difficulte de la vie, tant mieux pour toi. Le loup, comme moi, n’en a pas besoin.

    Mon choc de jeune papa a ete quand mon voisin de bureau a perdu son fils de la mort subite a presque un an. Ma fille avait quelques mois et ca m’a bien foutu l’angoisse. Mais bon, on s’habitue a tout. Il le faut.

    Je trouve l’idee de la lettre formidable. Le plus beau cadeau qu’on puisse offrir a cet enfant finalement.

  2. Laure colmant dit :

    Je suis comme le Loup, je ne crois ni en Dieu, ni en une force suprême, ni en rien. Je crois que nous sommes vivant, comme beaucoup de choses, et qu’un jour nous mourrons. Et que notre mort nourrira la terre permettant à la nature de continuer. Je me souviens de ce qu’a dit Simone de Beauvoir au moment de la mort de Sarte : « Sa mort nous sépare, la mienne ne nous réunira pas. » C’est même pas désespéré. C’est une constat…

  3. Anne-Sophie dit :

    Bonjour,
    Je suis tombée par hasard sur votre blog, et sur ce bulletin en particulier (en fait je cherchais une photo de « petite vieille » ;).
    Il tombe à point et j’ai beaucoup aimé le lire.
    Bonne continuation

    Anne-Sophie

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